III Pourquoi le site n'a pas fermé ses portes?


Depuis les années 60, et donc depuis l'apparition d'un désintérêt prononcé de la part de la Météorologie Nationale pour les stations d'altitude, l'Aigoual a résisté à cette hécatombe.
En effet, depuis cette période, jusqu'à nos jours, une multitude de personnes à fortes personnalités n'ont cessé de se mobiliser pour soutenir le site. Cette mobilisation exceptionnelle que nous ont raconté, voir même conté, les différentes personnes que nous avons interrogés, semble devenir, avec leurs témoignages, légendaire et surtout immortelle.


Mobilisation humaine :

Le point de départ de ces risques de fermeture, est - dès les années 60 - la concurrence économique ainsi que de la meilleure fiabilité des stations automatiques. Sous la pression de la Météorologie Nationale, l'Aigoual était à cette époque extrêmement proche de la fermeture. Mais, l'oeil avertit d'un météorologue pour l'examen du ciel ne peut être concurencé par des appareils automatiques, c'est pourquoi Christian Proust s'est mobiliser pour empêcher la fermeture du site. Il resta pendant près de 18 mois (de 1972 jusqu'en 1974) seul à l'observatoire. Ce dernier "était un très bon technicien météo" (nous dit Francis Cavalier-benezet) qui effectuait donc des observations, mais, "il était quelqu'un de solitaire" et même s'il n'a ménagé aucun effort pour que l'Aigoual reste ouvert durant ces 18 mois "il était trop coupé du monde" ce qui a aggravé le désintérêt de la Météorologie Nationale pour ce site. Cependant le centre météo de l'Aigoual, malgré ces 18 mois de solitude, retrouve un technicien météo du nom de Pierre Moureau en 1974 et un ouvrier du nom d'Alfred Puech en 1975. Puis, plus tard, en 1979, un nouveau technicien météo est affecté à l'Aigoual, c'est à dire Chistian Pratlong (qui était le directeur de la station de 2002 à fin 2008).


Christian Proust quitte la station en 1981, et c'est Jean Boulet qui lui succède et qui reprend le poste de directeur jusqu'en 2002. Ce dernier est aujourd'hui le maire d'Aulas (petit village proche du Vigan dans le Gard) et nous a raconté avec passion ces 21 ans de direction à l'Aigoual (de 1981 à 2006). Il déclare d'ailleurs "ça a été un lourd sacrifice car je suis allé jusqu'à mettre de côté ma vie de famille pour sauver l'Aigoual avec mon équipe, mais si c'était à refaire, je le referais". Monsieur Boulet, face à l'état des bâtiments, tente d'alerter à son tour les autorités locales, tels que le conseil général ou la mairie du Vigan, afin de demander une aide financière globale pour la rénovation. Suite à cela, le directeur régional de la Météorologie (basé à Aix en Provence), le conseiller général (à cette époque, monsieur Cavalier-benezet) et le conseiller régional sont amenés à visiter les lieux avec Monsieur Boulet. Cette visite des nous a été raconté par l'ancien conseiller général du Gard qui déclare "[...] nous étions tous stupéfait par la dégradation qu'avait subit le bâtiment et la seule conclusion que nous avons pu établir est que si rien n'était fait l'observatoire devrait fermer. Ce qui semblait impensable car le site représente véritablement un changement de culture dans les Cévennes, (on passe des troupeaux de moutons à la forêt) et surtout la fin de l'érosion et des inondations dévastatrices." Cependant, malgré cette prise de conscience des autorités locales, une question toujours épineuse reste en suspend, celle du financement.


En effet, même après une aide financière de la part de Météo France et du Conseil général du Gard de l'ordre de 150 000 euros (à l'époque en francs), il manque un tiers des charges pour pouvoir rénover le bâtiment entièrement. Pour recueillir l'argent nécessaire Monsieur Boulet met en place un système que l'on pourrait qualifier de "peu orthodoxe" (selon Monsieur Cavalier-benezet) . Comme l'Aigoual depuis ses débuts a toujours attiré du monde à son sommet, il s'agit d'organiser un système de cagnotte au sommet de la tours d'orientation, avec un dispositif vidéos sensibilisant les touristes à l'état de l'Aigoual. Ce dispositif, nous dit Francis "a été très efficace car la plupart des touristes laissait entre 5 et 20 francs dans la cagnotte". La sensibilisation du public a été telle, que l'argent récolté a permis de combler ce qui manquait pour payer les charges de rénovations, et les travaux se sont terminés quelques années plus tard.


Atout climatique exploité :

Au sommet de l'Aigoual, les conditions climatiques sont très souvent extrêmes car deux masses d'airs sont en perpétuelle confrontration, l'air océanique et l'air méditerranéen. L'aigoual est par exemple le site le plus arrosé de France (avec une moyenne de 2 mètres de pluie par an), et il a également une moyenne de 240 jours de brouillards par an.  Depuis sa construction, la station enregistre plusieurs records climatologiques assez impressionants : une température minimale de -28°C en 1956 ou encore des rafales de 360 km/h en novembre 68. Ces conditions climatiques que subit l'Aigoual ont permis dans les années 80 jusqu'à nos jours de tester en situation météorologique extrême de nombreux appareils, avec notament l'Organisation Mondiale de la Météo (OMM). Depuis, de nombreux organismes font appel au centre d'essais de l'Aigoual pour tester leur matériel météorologique car, comme nous dit Jean Boulet, "A l'Aigoual ça passe ou ça casse". Ce centre d'essais a été et est toujours un atout pour l'Aigoual, car il lui fait promotion (au delà des frontières car beaucoup d'organismes viennent de l'étranger), ce qui lui permet de sortir de l'ombre.


Atout touristique exploité :

Depuis sa construction jusqu'à aujourd'hui, l'Aigoual a toujours été un site attirant les visiteurs, au début locaux puis nationaux et aujourd'hui internationaux, ce qui est un atout qui a toujours été pris en compte, mais qui n'a été vraiment exploité qu'à partir des années 80.

En effet, le refuge en bois construit par le "Club Alpin" en 1897 pour les marcheurs, et la tour d'observation construite avec le reste des bâtiments, attirent en 1898 près de 1250 personnes, venant principalement des vallées au pied du Mont Aigoual. 


Un chiffre qui aujourd'hui paraît dérisoire mais qui pour l'époque reste très impressionnant contenue de la difficulté d'accès (à pied ou en voiture à cheval) au site. Et au fil des années, avec l'amélioration des moyens de transport et des routes, les chiffres n'ont cessé d'augmenter. Cependant l'Aigoual par ses conditions climatiques reste un site très isolé en hiver et visité de façon irrégulière en été. Il n'existe d'ailleurs pas de données statistiques sur la fréquentation du lieu entre 1898 et les années 80, ce qui prouve que le tourisme n'était pas une priorité à l'Aigoual.

A partir des années 80, après la rénovation des bâtiments (en partie grâce aux dons des visiteurs), l'équipe de la station prend conscience de l'emballement que peut avoir le public pour la météo, ainsi que sa volonté de voir l'observatoire perdurer comme l'emblème du changement de vie des Cévennes. C'est alors que sous la direction de Jean Boulet en 1984, il est question  de fêter le centenaire de l'Aigoual, pour à la fois faire connaître le site un peu plus au grand public et pour convaincre la direction de la Météorologie Nationale de garder le site ouvert pour deux intérêts principaux : celui du tourisme et celui des conditions extrêmes qui permettent le test des nouveaux matériaux d'observations. Monsieur Cavalier-benezet, nous raconte l'organisation difficile de cette fête au sommet. En effet l'observatoire est en plein milieu du PNC et "est dans la partie la plus réglementée du Parc". Ce dernier s'est vivement opposé à l'élaboration de ce centenaire pour des raisons de sécurité de l'environnement. Cependant, un accord a été trouvé entre la direction de l'Aigoual représentée par Jean Boulet et celle du Parc, et le centenaire a bien eu lieu en été 1984. Cette fête est restée dans les mémoires de tous ceux qui ont pu y assister car c'était quelque chose d'extraordinaire qui  n'avait jamais eu lieu sur un site que beaucoup de personnes pensaient désert. Elle s'est déroulée sur toute une journée et plus de 10 000 personnes se sont massées au sommet pour y assister. Francis nous raconte d'ailleurs avec gourmandise le repas du midi qui était organisé au chalet rond de Prat-Peyrot : "le gâteaux était excellent mais il était tellement gros qu'il en restait à la fin". Monsieur Alain Pieyre, berger gardant les troupeaux l'été sur le massif de l'Aigoual, nous raconte également le feu d'artifice et la fin de soirée passée avec "Francis et Jean" : "ça a été sûrement le plus beau feu d'artifice que je n'avais jamais vu, et le soir où nous finissions le gâteaux au sommet de la tour, on pouvait voir au crépuscule les phares des voitures qui descendaient le long de la route, c'était magnifique!" Face à cette fête exceptionnellement bien réussie, le directeur national de la Météo (qui était également convié), est resté époustouflé de voir tant de personnes se masser à un endroit qu'il croyait désert. Ce qui a permis de passer un accord de financement entre la Météorologie Nationale et l'Aigoual pour maintenir le site et son personnel en place.

Pour consolider ce succès, Jean Boulet créer avec l'équipe de la station en 1985, une première exposition gratuite de 25m², installée dans le garage. Il s'agit dans un premier temps de montrer au public, différents phénomènes climatiques à l'aide de photos et de les expliquer.

Ce n'est qu'en 1988 que l'Association des Amis de l'Aigoual (AAA) née. Elle publie depuis de nombreux livres à but pédagogique, comme "Météo Junior" (voir leur catalogue), dont les recettes des ventes servent à améliorer l'exposition et entretenir les bâtiments, tout en faisant la promotion continue de l'Aigoual.

Au fur et à mesure, l'Aigoual devient un lieu très médiatisé d'une part grâce à la participation de Jean Boulet à certaines émissions de télévision ou de radio, et d'autre part grâce au passage de journalistes sur le site en lui même (France Culture, France Inter, TF1, etc...). Cette médiatisation a permis en grande partie d'augmenter la fréquentation du site du mois d'avril au mois d'octobre, et les autorités locales et Météo France comprennent très vite que c'est un atout économique majeur. C'est pourquoi la Région Languedoc-Roussillon, le Conseil général du Gard  et Météo France commencent à accorder des subventions à l'observatoire, ce qui permet l'entretient constant des bâtiments et l'agrandissement de l'exposition, qui atteint aujourd'hui près de 800m², contre 25 au début en 1985.

 

Le tourisme estival de l'Aigoual reste aujourd'hui, à la vue des chiffres de la fréquentation du site, un atout économique incomparable (jusqu'en 2005 il y avait environ 80 000 visiteurs par an), qui permet la sauvegarde de l'Aigoual depuis qu'il a été exploité dans les années 80. Cependant, on peut constater dans le tableau suivant, que depuis 2005 , la fréquentation de l'exposition a baissé de près de 23%.

 






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